Le CNRS raconte le vin

A l'occasion des Échappées inattendues organisées à la Cité du Vin le 12 avril 2025, le CNRS inaugure un objet inédit : le zine ! L’idée ? Rendre accessibles des sujets complexes de façon ludique et captivante, avec une dimension artistique forte et une volonté de rendre cet objet collectionnable, au fil des éditions. Entre contenus vulgarisés, images de science et narration immersive, découvrez comment des scientifiques issus de tous horizons racontent le vin.

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Une solution innovante contre le « goût de lumière »

Vous êtes-vous déjà retrouvé, lors d’une occasion spéciale, à savourer un verre de champagne ou de vin blanc au goût désagréable, rappelant le chou cuit ou la laine mouillée ? Ce phénomène, bien connu des spécialistes, porte un nom : le « goût de lumière ». A l’Institut des sciences moléculaires1 , Dario Bassani et son équipe travaillent depuis plusieurs années avec G. H. Mumm et l’industriel Lallemand pour lutter contre ce phénomène.

  • 1CNRS / Bordeaux INP / université de Bordeaux

Le « goût de lumière » désigne une altération organoleptique qui se manifeste par des arômes soufrés indésirables tels que l'œuf pourri, le chou cuit ou la laine mouillée. Ce phénomène survient après une exposition, même brève, à la lumière. Contrairement aux idées reçues, les bouteilles en verre vert, couramment utilisées pour le champagne, n’assurent pas une protection totale. En effet, la lumière verte qui traverse le verre déclenche une réaction chimique complexe, à l’origine de ce défaut.

Le mécanisme du « goût de lumière » résulte d'une réaction photochimique entre deux composés naturellement présents dans le vin et le champagne :

  • La riboflavine, un pigment jaune, sensible à la lumière, qui passe à un état excité sous exposition lumineuse.
  • La méthionine, un acide aminé issu de la fermentation, qui est ensuite oxydée par la riboflavine à l'état excité.

Cette oxydation produit des composés soufrés tels que le méthylmercaptan (odeur d'œuf pourri), le diméthyl disulfure et le diméthyl trisulfure, responsables de ces arômes désagréables1 . Les œnologues détectent cette altération, à la dégustation, après seulement 15 minutes d'exposition d’un verre de champagne à la lumière du soleil, révélant la sensibilité extrême de cette boisson.

  • 1A. Furet, A. Sicello, B. Guillemat, C. Absalon, E. Langleron, D. M. Bassani, "Revisiting the mechanism responsible for the light-struck flavor in white wines and Champagnes", Food Chem. 2022, 372, 131281.
Chais anciens situés dans la Loire.© Dario Bassani

Une collaboration fructueuse pour une solution innovante

Face à ce défi, Dario Bassani et son équipe collaborent depuis plusieurs années avec G. H. Mumm afin de mieux comprendre le mécanisme du « goût de lumière ». Soutenus par Aquitaine Science Transfert, ils ont pu développer une solution inédite : la séquestration sélective de la méthionine grâce à une résine hautement spécifique.

Cette résine novatrice utilise des ions cuivre immobilisés au sein de porphyrines, s’inspirant des enzymes naturelles capables de lier des métaux. La méthionine, ainsi qu'un autre acide aminé soufré, la cystéine, se lient fortement au cuivre, permettant leur extraction efficace. Avant la mise en bouteille, le vin ou le champagne est mis en contact avec la résine, soit par suspension, soit en le faisant circuler à travers une cartouche. Après un temps de contact, la résine, chargée en méthionine, est retirée. Ce procédé réduit la concentration de méthionine à un niveau empêchant la formation du « goût de lumière » sans altérer les arômes subtils des vins et champagnes.

Pour développer leur projet et adapter ce processus, Clément Monsarrat, un ingénieur maturation travaillant sur le projet, est sur le point de rendre cette résine compatible avec le contact alimentaire. Avec l’industriel Lallemand, il travaille également à la création de protocoles de production adaptés à l’échelle industrielle.

Un avenir lumineux pour les vins, et au-delà

Les tests ont montré que la résine fonctionne également sur divers vins blancs, effervescents (crémants, proseccos) et rosés. De manière surprenante, elle s’avère aussi efficace sur le lait, ouvrant des perspectives pour l’industrie laitière malgré des optimisations nécessaires.

Avec la possibilité de recycler la résine, cette innovation se distingue par son aspect durable et économique. Ce projet démontre le potentiel de la science à répondre aux défis de l’agroalimentaire, tout en préservant le plaisir de la dégustation, en partenariat avec les industries concernées.

Au cœur du paysage viticole cognaçais : une démarche scientifique collaborative qui porte ses fruits

Frédéric Angelier, chercheur en écologie au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé1  travaille depuis 2020 en partenariat avec le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC). Ensemble, ils étudient avec précision les interactions complexes entre la viticulture et la biodiversité. Ce projet ambitionne de décrypter les facteurs qui influencent la richesse du vivant au sein de ce vignoble spécifique.

  • 1CNRS / La Rochelle Université

Dans le vignoble cognaçais, Frédéric Angelier, chercheur en écologie, étudie les interactions complexes entre la viticulture et la biodiversité, en collaboration avec le Bureau National Interprofessionnel du Cognac. Le terrain d'étude privilégié par les scientifiques est un site atelier placé sous l'égide du BNIC, au sein même du vignoble cognaçais. Sur cette zone, les scientifiques ont mis au point un dispositif d'observation précis, comprenant un réseau de 120 points d'inventaire. Deux inventaires ornithologiques sont réalisés annuellement sur chacun de ces points. L'objectif est d'identifier les espèces d'oiseaux présentes par observation visuelle et auditive. Ces données biologiques sont ensuite mises en relation avec une analyse fine du paysage environnant chaque point d'inventaire. Cette caractérisation prend en compte les types de cultures, la présence d'éléments naturels tels que les bois et les haies, ainsi que les infrastructures anthropiques comme les fermes et les villages. Le rôle du BNIC s'avère fondamental dans cette étude, facilitant non seulement l'accès aux parcelles viticoles mais aussi l'accueil favorable des chercheurs par les viticulteurs.

La « mosaïque paysagère » : un atout pour la biodiversité

Les premières analyses des données recueillies confirment certaines attentes des scientifiques et révèlent des tendances intéressantes. Conformément aux hypothèses initiales, la présence d'infrastructures paysagères telles que les bois, les rivières et, de manière notable, les haies, exerce un effet bénéfique significatif sur la diversité des oiseaux. De manière plus surprenante, l'étude met en lumière une influence positive de la présence humaine (fermes, hameaux, petits villages) sur le nombre d'espèces observées. Cette observation pourrait s'expliquer par la création de niches additionnelles et la disponibilité de ressources alimentaires diversifiées. Un enseignement majeur de ce projet est la spécificité de la biodiversité viticole, qui se distingue de celle rencontrée dans d'autres contextes agricoles, notamment les exploitations céréalières. Cette distinction souligne la nécessité d'adopter des approches de conservation adaptées aux particularités des vignobles. L'effet des haies, par exemple, se révèle particulièrement marqué pour les espèces d'oiseaux qui nichent dans les arbustes, mais moins pour celles qui nichent au sol ou dans les bâtiments. Enfin, un paysage qui présente une certaine hétérogénéité, une « mosaïque paysagère », semble favoriser une plus grande diversité d'oiseaux.

Moineau du vignoble cognaçais © Pauline Bellot

Une perspective à long terme et des retombées potentielles

En s’inscrivant dans une temporalité longue, le projet permettra d'évaluer l'efficacité des initiatives mises en place par le BNIC et les maisons de Cognac en faveur de la biodiversité, telles que la plantation de haies ou le développement de pratiques agricoles à Haute Valeur Environnementale (HVE). Le BNIC joue un rôle primordial dans la diffusion des résultats auprès des acteurs de la filière viticole. Les connaissances issues de ces recherches sont partagées lors d'assemblées générales, touchant ainsi les viticulteurs et les maisons de négoce, et offrant un retour concret aux professionnels du secteur. 

Un ancrage local inspirant pour d’autres collaborations

Cette collaboration entre la recherche académique et le monde socio-professionnel illustre parfaitement la manière dont les expertises peuvent se conjuguer pour apporter des réponses aux défis environnementaux contemporains.

En étudiant la biodiversité au sein d'un territoire viticole spécifique et en travaillant de concert avec les acteurs locaux, Frédéric Angelier et son équipe ouvrent des perspectives concrètes pour concilier activité économique et préservation de l'environnement. Les enseignements tirés du vignoble de Cognac pourraient inspirer des initiatives similaires dans d'autres régions viticoles et agricoles, contribuant ainsi à une meilleure prise en compte de la biodiversité à une échelle plus vaste.

A la rencontre de Delphine Thivet

« C’est touchant de rencontrer les viticulteurs, eux qui sont dépositaires d’un savoir, d’une passion et d’un amour du produit ».  Pourtant, rien ne prédestinait Delphine Thivet, chercheuse en sociologie à l’université de Bordeaux au Centre Emile Durkheim1 , à étudier d’aussi près le monde du vin.

  • 1CNRS / université de Bordeaux

Au départ, cette sociologue politique s’intéressait surtout aux mobilisations agricoles, quelles qu’elles soient, et où qu’elles se trouvent. « Mes premiers travaux se sont intéressés à la construction d’un mouvement paysan international, en m’intéressant spécifiquement à la France, au Brésil et à l’Inde », confie-t-elle. C’est en arrivant à Bordeaux que son regard se tourne vers les paysages viticoles, intriguée par la place centrale que prend le vin dans la culture locale. 

« Le vin est un objet de recherche très riche, et finalement, avec quelques collègues, nous avons souhaité questionner l’impact de la transition agroécologique sur les conditions de travail. »

Audiodescription

L'enjeu de ce programme de recherche est d'étudier les changements lié au passage à l'agro-écologie. Basé sur des entretiens de viticulteurs et de salariés, TraSad (Du travail soutenable en agriculture durable) s'axe sur la dimension humaine, conditions des travailleurs en agricultures.

Les pieds dans la vigne

Pendant deux ans, Delphine Thivet et son équipe ont mené une centaine d’entretiens auprès des acteurs du secteur pour comprendre ce que la transition vers une agriculture plus durable peut créer en termes d’augmentation de la charge de travail, de mécanisation, de santé des viticulteurs et des salariés. « Notre objectif n’était pas de définir ce qui est bien, ou mal, en termes de viticulture, mais de décortiquer la complexité d’une transition vers une viticulture plus durable et de la soutenabilité humaine de cette transition », explique-t-elle.

Car des vignes non-traitées induisent une présence humaine plus importante dans les champs, sur des tâches parfois éprouvantes physiquement, alors que le secteur rencontre une pénurie de main-d’œuvre. Mais l’abandon des traitements a un impact direct et bénéfique sur la santé des viticulteurs.

Au-delà des pratiques agricoles

« La transition ne se joue finalement pas uniquement sur les changements des pratiques agronomiques, mais surtout sur son impact sur les conditions de travail, sur les financements qu’elle demande, sur la bureaucratie cachée derrière les certifications environnementales », ajoute Delphine Thivet. Les membres de l’équipe de Delphine Thivet ont même endossé la tenue de salarié agricole pour réaliser des observations participantes. « Les viticulteurs et leurs salariés sont souvent invisibilisés derrière un produit, le vin, extrêmement valorisé sur le plan économique et symbolique, en France et à l'international. On espère que nos travaux contribueront, à leur façon, à accompagner l’évolution du travail dans les vignes ».

Au-delà du Bordelais, Delphine Thivet, actuellement en mission temporaire en Inde pour poursuivre d’autres travaux de recherche, s’interroge sur les vignobles indiens et ceux de pays du Sud, où cette culture est historiquement moins ancrée. « Ce ne sont pas du tout les mêmes vins, mais des filières émergent, notamment en Inde du Sud. Ce serait intéressant de les étudier également, en mettant toujours l’humain au centre de nos problématiques de recherche », conclut-elle. Que ce soit en France ou à l’étranger, Delphine Thivet reste à l’écoute des hommes et des femmes confrontés aux grands défis environnementaux, sanitaires et économiques qui bousculent les mondes agricoles d’aujourd’hui.

KANOPEE : une approche innovante pour prévenir l'addiction

Bien que des recommandations officielles existent en matière de consommation de substances, de temps d'écran ou encore de sommeil, les appliquer au quotidien reste difficile pour beaucoup. Pour favoriser une meilleure adhésion à ces repères, le laboratoire Sommeil, Addiction et Neuropsychiatrie1  a conçu KANOPEE, une application de conseil, gratuite. L’objectif : faciliter l’accès à l’aide et à la prévention en addictologie.

  • 1SANPSY, CNRS / université de Bordeaux / CHU

Il n’y a pas de consommation d’alcool sans risque. Les risques liés à la consommation d’alcool, pour la santé, augmentent au cours de la vie en fonction de la quantité consommée. Toutefois, un avis émis par un groupe d’experts missionnés par Santé publique France et l’Institut national du cancer a tenté de proposer une valeur repère unique pour les deux sexes, qui exposerait les consommateurs à un risque acceptable. Cette recommandation peut être synthétisée par cette formulation : « Pour votre santé, l’alcool c’est maximum 2 verres par jour et pas tous les jours ».

En dépit des recommandations officielles, il peut être difficile pour certains de respecter les limites de consommation. Alors comment la science peut-elle favoriser, auprès des consommateurs, leur diffusion et leur respect ?

KANOPEE : un exemple de e-santé

Le laboratoire SANPSY a développé KANOPEE, une application de conseil gratuite qui donne la parole à Jeanne, une agente conversationnelle qui accompagne les usagers pour réduire le risque de développer une addiction. Ce suivi quotidien, à portée de main, permet à l’usager d’observer en toute autonomie l’évolution de ses pratiques en termes de consommation de tabac, d’alcool, d’autres substances psychoactives, de temps d’écran, et même d’évaluer la qualité de son sommeil. Grâce à un agenda, l’utilisateur peut comparer sa consommation d’alcool estimée, à sa consommation réelle dans la journée. Ainsi, l’application l’aide à évaluer son risque de perte de contrôle qui caractérise l’addiction et de cette façon à un effet de prévention.

L'application, disponible sur IOS et Android, a été téléchargée plus de 85 000 fois et a accompagné des personnes de toutes les tranches d'âge et catégories professionnelles, en France. 

Alors qu’aujourd’hui, la majorité des personnes suivies dans les dispositifs de soins en addictologie sont des hommes, KANOPEE est particulièrement sollicitée par les femmes ; elle ouvre donc des perspectives intéressantes sur l'accès aux soins en addictologie pour toutes et tous.

L’intelligence artificielle pour lutter contre les addictions

KANOPEE illustre le potentiel des outils numériques pour répondre aux défis de santé publique actuels. Initialement créée lors de la pandémie de Covid-19, cette application a facilité l’accès à des aides adaptées en situation de crise sanitaire. Depuis, elle favorise également la recherche participative en sollicitant les usagers éligibles pour participer à des protocoles mis en place au sein du laboratoire concernant, par exemple, les symptômes qui conduisent à la rechute dans le cadre d’une addiction, le craving. Cela a abouti à la mise au point d’une application thérapeutique, Craving Manager, actuellement en cours d’évaluation1 .

L’intelligence artificielle présente dans l’application permet d’analyser les données complexes et anonymisées recueillies par les scientifiques mais aussi de personnaliser l’interaction de l’usager avec l’agente virtuelle : adaptation de la posture, analyse du regard, empathie et enthousiasme face aux progrès réalisés. Cette adaptation de l’outil favorise la coopération et l’assiduité des utilisateurs.

En augmentant l’autonomie des patients, l’intelligence artificielle et les outils de e-santé, renforcent le pouvoir d’agir des usagers sur leur santé et permettent de personnaliser et d’accompagner l’intervention thérapeutique humaine.

  • 1Serre Fuschia , Moriceau Sarah , Donnadieu Léa , Forcier Camille , Garnier Hélène , Alexandre Jean-Marc , Dupuy Lucile , Philip Pierre , Levavasseur Yannick , De Sevin Etienne , Auriacombe Marc ,  for Craving-Manager RCT investigator group, The Craving-Manager smartphone app designed to diagnose substance use/addictive disorders, and manage craving and individual predictors of relapse: a study protocol for a multicenter randomized controlled trial, Frontiers in Psychiatry, Volume 14 - 2023 DOI : 10.3389/fpsyt.2023.1143167