Une solution innovante contre le « goût de lumière »

Vous êtes-vous déjà retrouvé, lors d’une occasion spéciale, à savourer un verre de champagne ou de vin blanc au goût désagréable, rappelant le chou cuit ou la laine mouillée ? Ce phénomène, bien connu des spécialistes, porte un nom : le « goût de lumière ». A l’Institut des sciences moléculaires1 , Dario Bassani et son équipe travaillent depuis plusieurs années avec G. H. Mumm et l’industriel Lallemand pour lutter contre ce phénomène.

  • 1CNRS / Bordeaux INP / université de Bordeaux

Le « goût de lumière » désigne une altération organoleptique qui se manifeste par des arômes soufrés indésirables tels que l'œuf pourri, le chou cuit ou la laine mouillée. Ce phénomène survient après une exposition, même brève, à la lumière. Contrairement aux idées reçues, les bouteilles en verre vert, couramment utilisées pour le champagne, n’assurent pas une protection totale. En effet, la lumière verte qui traverse le verre déclenche une réaction chimique complexe, à l’origine de ce défaut.

Le mécanisme du « goût de lumière » résulte d'une réaction photochimique entre deux composés naturellement présents dans le vin et le champagne :

  • La riboflavine, un pigment jaune, sensible à la lumière, qui passe à un état excité sous exposition lumineuse.
  • La méthionine, un acide aminé issu de la fermentation, qui est ensuite oxydée par la riboflavine à l'état excité.

Cette oxydation produit des composés soufrés tels que le méthylmercaptan (odeur d'œuf pourri), le diméthyl disulfure et le diméthyl trisulfure, responsables de ces arômes désagréables1 . Les œnologues détectent cette altération, à la dégustation, après seulement 15 minutes d'exposition d’un verre de champagne à la lumière du soleil, révélant la sensibilité extrême de cette boisson.

  • 1A. Furet, A. Sicello, B. Guillemat, C. Absalon, E. Langleron, D. M. Bassani, "Revisiting the mechanism responsible for the light-struck flavor in white wines and Champagnes", Food Chem. 2022, 372, 131281.
Chais anciens situés dans la Loire.© Dario Bassani

Une collaboration fructueuse pour une solution innovante

Face à ce défi, Dario Bassani et son équipe collaborent depuis plusieurs années avec G. H. Mumm afin de mieux comprendre le mécanisme du « goût de lumière ». Soutenus par Aquitaine Science Transfert, ils ont pu développer une solution inédite : la séquestration sélective de la méthionine grâce à une résine hautement spécifique.

Cette résine novatrice utilise des ions cuivre immobilisés au sein de porphyrines, s’inspirant des enzymes naturelles capables de lier des métaux. La méthionine, ainsi qu'un autre acide aminé soufré, la cystéine, se lient fortement au cuivre, permettant leur extraction efficace. Avant la mise en bouteille, le vin ou le champagne est mis en contact avec la résine, soit par suspension, soit en le faisant circuler à travers une cartouche. Après un temps de contact, la résine, chargée en méthionine, est retirée. Ce procédé réduit la concentration de méthionine à un niveau empêchant la formation du « goût de lumière » sans altérer les arômes subtils des vins et champagnes.

Pour développer leur projet et adapter ce processus, Clément Monsarrat, un ingénieur maturation travaillant sur le projet, est sur le point de rendre cette résine compatible avec le contact alimentaire. Avec l’industriel Lallemand, il travaille également à la création de protocoles de production adaptés à l’échelle industrielle.

Un avenir lumineux pour les vins, et au-delà

Les tests ont montré que la résine fonctionne également sur divers vins blancs, effervescents (crémants, proseccos) et rosés. De manière surprenante, elle s’avère aussi efficace sur le lait, ouvrant des perspectives pour l’industrie laitière malgré des optimisations nécessaires.

Avec la possibilité de recycler la résine, cette innovation se distingue par son aspect durable et économique. Ce projet démontre le potentiel de la science à répondre aux défis de l’agroalimentaire, tout en préservant le plaisir de la dégustation, en partenariat avec les industries concernées.