Ryszard LobinskiLaboratoire LCABIE
Un millionième de millionième de gramme de sélénium dans le cerveau d’une mouche. C’est l’incroyable record de détection d’une forme chimique d’un élément, détenu par l’équipe de chimie analytique bio-inorganique constituée il y a neuf ans par Ryszard Lobinski. À 43 ans, ce dernier a fait de l’analyse des traces infimes – les ultratraces – des espèces métalliques liées aux biomolécules son cheval de bataille. Avec une réussite déconcertante.Étudiant en génie chimique à l’École polytechnique de Varsovie, il tombe un peu « par accident » dans le laboratoire de Zygmunt Marczenko, éminent chimiste-analyticien, qui inculque au jeune Lobinski l’amour de sa discipline et... de la France. « J’avais une prédilection pour les sciences exactes. Mais les mathématiques étaient trop cartésiennes pour moi. La chimie me permettait plus de folies et avait plus de prise avec la vie quotidienne. » Cet attachement à la société qui l’entoure, Ryszard Lobinski va l’entretenir tout au long de sa carrière, d’abord à l’université d’Anvers (après un post-doctorat à Dortmund, en Allemagne), puis au CNRS, à Bordeaux et enfin à Pau. « En examinant l’environnement avec beaucoup de finesse, la chimie analytique permet de répondre aux inquiétudes des citoyens. »Ainsi, depuis ses débuts, une question taraude le chimiste : comment accéder aux teneurs extrêmement faibles des formes chimiques des métaux toxiques ou au contraire indispensables à la vie ? C’est au début des années 1990 que la réponse prend forme. Il met au point des méthodes radicalement innovantes, en couplant la spécificité de la chromatographie et l’ultrasensibilité de la spectrométrie à plasma. Dès lors, il devient possible de repérer la présence pour le moins discrète des métaux dans différents échantillons biologiques, comme le vin, les plantes, les cellules animales et humaines, mais aussi et surtout de différencier les espèces d’un même métal. « C’est là toute la puissance de la chimie analytique. Nous parvenons à savoir sous quelle forme un métal existe, dans l’alimentation par exemple, et si celle-ci est assimilable par l’organisme ou non. »Lui et ses collègues démontrent ainsi que le cadmium et le plomb dans le cacao ne représentent aucun danger, puisque l’organisme ne peut les assimiler sous ces formes précises. Et ce n’est qu’un résultat parmi d’autres. L’équipe paloise identifie les protéines de défense contre la toxicité métallique chez différents organismes vivants, découvre de nouvelles formes chimiques de métaux dans l’alimentation, élabore des appareils de surveillance de l’environnement... Elle est même la seule à proposer un suivi du devenir de certains médicaments métalliques administrés aux patients atteints d’un cancer à des niveaux incroyablement faibles.Les méthodes de caractérisation mises au point dans cette « Tour de Babel » (on y parle français, anglais et allemand mais aussi polonais, espagnol ou encore hongrois) sont si efficaces qu’elles ont été confiées à une cellule de valorisation. Créée en 1999 par Ryszard Lobinski et Olivier Donard, UT2A (pour Ultra traces analyses Aquitaine) propose ses services à quiconque souhaite analyser des espèces métalliques. Par ailleurs, le laboratoire est devenu l’une des références mondiales pour la caractérisation des suppléments nutritifs à base de sélénium.Et l’avenir ? Pour Ryszard Lobinski et ses collègues, il réside dans la métallomique, une toute jeune discipline qu’ils ont contribué à créer et qui consiste en l’étude globale de tous les métaux présents dans une cellule, à l’instar de la protéomique pour les protéines ou de la génomique pour les gènes. Pour cela, des méthodes de chimie analytique encore plus performantes doivent être inventées. « Des collègues m’ont dit un jour que nous avions placé Pau sur la carte mondiale de la chimie analytique. C’est le plus beau compliment que l’on m’ait fait. »