Un scientifique qui n’a pas peur de buller !
Olivier Sandre est chercheur au Laboratoire de Chimie des Polymères Organiques1 . Dans ses travaux, il étudie le développement éventuel d’une nouvelle thérapie du cancer. Pour rendre sa recherche accessible au plus grand nombre, il a fait appel à Naïs Coq, une illustratrice qui a su mettre en mots et en images le monde des nanoparticules magnétiques et des polymères. Rencontre avec ce chercheur qui n’a pas eu peur de buller.
- 1CNRS/université de Bordeaux/Bordeaux INP
La bande-dessinée est un format prisé par la science pour se raconter, qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas ?
Olivier Sandre : De plus en plus utilisé, oui ! J’ai été attiré par la BD parce que c’est un format qui se décline facilement, de manière numérique et imprimable. Il est très appropriable et permet de raconter l’histoire du projet avec un ton léger, tout en préservant le propos scientifique. Par exemple, j’apprécie beaucoup le travail fait par Marion Montaigne pour vulgariser des sujets scientifiques complexes, comme la mécanique quantique.
Le dessin permet de donner un « visage » au projet et touche plus facilement le grand public. Du coup, quand je me suis interrogé sur la manière de valoriser mes travaux de recherche et de les partager avec le plus grand nombre, l’idée d’une bande dessinée m’est naturellement venue.
Et comment est née la collaboration avec l’illustratrice Naïs Coq ?
O.S. : J’avais eu l’occasion de croiser Naïs Coq lors de sa thèse en physique, il y a une douzaine d’années et j’avais découvert par la suite ses talents de dessinatrice. Cela fait maintenant un moment qu’elle travaille dans la BD et, elle fait partie d’une des rares dessinatrices ayant une formation scientifique. J’avais confiance en elle, je savais que, grâce à sa propre thèse en physique, elle saisirait bien les concepts et les enjeux du projet.
Comment votre collaboration s’est-elle organisée ?
O. S. : Nous avons organisé plusieurs rencontres et échanges. Naïs s’est appuyée sur la thèse de Diana, qui travaille sur le projet de « nano-mixeurs », et sur ses connaissances en physique. Il fallait que nos messages soient clairs pour que Naïs puisse avancer. Elle a ensuite testé sa vulgarisation auprès d’un public de non-initiés pour trouver des analogies visuelles et mieux retranscrire notamment les concepts chimiques. Le travail s’est fait progressivement. Elle nous a présenté beaucoup de croquis pour que l’on valide l’exactitude de son interprétation dessinée.
Vous travaillez sur les « nano-mixeur », un nom original pour un objet destiné à combattre le cancer, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
O. S. : Je coordonne effectivement un projet de recherche fondamentale qui a pour objectif la création d’un « nano-mixeur », pour détruire les cellules des tumeurs cancéreuses de manière non-invasive grâce à l’application d’un champ magnétique. Le projet, qui s’appelle MAVERICK, n’a pas été pensé à l’origine comme un projet directement lié au cancer, mais plutôt comme une étude des polymères et de leur déformation. On a ensuite trouvé des applications dans le domaine de la santé.
Et concrètement, comment cela fonctionne ?
O.S. : Dans notre travail, on mêle physique et chimie et on étudie l’ingénierie des vésicules polymères de type caoutchoutiques avec des liaisons doubles qui les rendent flexibles, comme celles que l’on retrouve dans le caoutchouc synthétique, dans un pneu. L’idée est de concevoir une réaction physico-chimique qui permette à ces liaisons de passer de l’état liquide à l’état élastique : ça s’appelle la réticulation.
Cette opération est réalisée grâce à des irradiations UV à l’intérieur d’un champ magnétique statique, ce qui permet de fixer la déformation des polymères, que l’on veut allongés. Une fois déformés et fixés, ils vont être transférés dans des champs magnétiques tournants pour créer l’action mécanique et devenir des « nano-mixeurs » prêts à détruire les cellules cancéreuses.
Cette destruction cellulaire mécanique est encore théorique. Suite à la thèse soutenue par Diana Kazaryan2 , on a remarqué que les objets que nous arrivons à transformer ne sont allongés qu’à 30%. L’objectif est d’aller plus loin pour maximiser les chances de réussite de la destruction mécanique. Cette suite du projet se fera dans une logique d’application directe dans le domaine de la santé.
Trois années de recherches scientifiques, et concernant la BD, en combien de temps a-t-elle été réalisée ?
En parallèle de la création de la BD, la thèse de Diana était en cours de finalisation alors, nos emplois du temps étaient chargés. Je n’ai pas ressenti ce projet comme chronophage. De notre premier rendez-vous avec Naïs à la sortie de la BD, six mois se sont écoulés.
Finalement, quel souvenir garderez-vous de cette rencontre entre art et science ?
C’était une collaboration très sympa ! Mes collègues étaient étonnés de voir une illustratrice travailler sur un projet de recherche. Cela a créé des échanges très intéressants entre nous.
Quand j’ai posté les vignettes de la BD sur les réseaux, cela a attiré l’attention d’une étudiante qui pensait que c’était un sujet de thèse ! J’ai dû lui dire que malheureusement, la thèse était terminée. Je pense que le format de communication a beaucoup participé à sa curiosité.
Et, imaginez-vous investir d’autres formats à l’avenir ?
J’adorerais reproduire ce genre de collaboration et, pourquoi pas, passer à un format « vivant », comme un dessin animé !
- 2Diana Kazaryan est chercheuse en chimie des polymères. Elle a effectué sa thèse sur le projet MAVERICK, sous la direction d’Olivier Sandre et Frédéric Peruch (LCPO)
En savoir plus
- MAVERICK est un projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche (voir la page du projet).
- Le projet MAVERICK est un projet de recherche fondamentale coordonné par le Dr Olivier Sandre. Il associe aussi Frédéric Peruch et Diana Kazaryan du LCPO, ainsi que Véronique Gigoux, Pascal Clerc, Loubna Laïb et Julian Carrey du Laboratoire de Physique et Chimie des Nano Objets1 , et Etienne Gontier, Mélina Petrel et Sabrina Lacomme du Bordeaux Imaging Center. Le projet a commencé en décembre 2019 et a duré 48 mois.
- Voir la BD en anglais sur le site du projet MAVERICK
- 1CNRS/université de Toulouse Paul Sabatier/INSA Toulouse