Laurent Groc, lauréat de l’académie nationale de médecine 2021

Distinctions

Laurent Groc, neurobiologiste et directeur de recherche CNRS à l’Institut Interdisciplinaire de Neurosciences, s’est vu décerner un prix de l’académie nationale de médecine pour ses travaux sur le rôle de l’autoimmunité dans l’émergence de troubles psychotiques.

L’année 2007 a été marquée par une importante découverte en médecine : la caractérisation d’une maladie nommée encéphalite autoimmune anti-récepteur NMDA. Les récepteurs glutamatergiques NMDA sont des récepteurs excitateurs du cerveau permettant la communication synaptique entre neurones. Cette découverte essentielle a permis de montrer qu’un autoanticorps, qui est un anticorps qui se retourne contre le matériel biologique de la personne, est capable d’induire à lui tout seul des troubles psychotiques et neurologiques majeurs. Le lien d’un dérèglement autoimmunitaire dans des maladies neuropsychiatriques avait été proposé il y a plus d’un siècle, sans que les données expérimentales soutiennent cette possibilité. Une nouvelle ère d’exploration scientifique et médicale s’est donc ouverte dans le champ de la neuropsychiatrie.

Un lien croissant entre neurologie et immunologie

« Pendant longtemps les neuroscientifiques ont pensé que le cerveau était très peu sensible au système immunitaire, grâce aux membranes qui le protège » explique Laurent Groc, directeur de recherche CNRS à l’IINS. Ses travaux, avec le soutien de son équipe et de cliniciens en France et à l’étranger, s’intéressent à la compréhension, au diagnostic et au traitement des troubles neuropsychiatriques associés à la présence de ces autoanticorps dirigés contre le récepteur glutamatergique NMDA.

Ces études mettent en lumière le lien croissant entre psychiatrie, neurologie et immunologie, ouvrant de nouvelles perspectives dans les maladies du cerveau. Pour récompenser ses travaux sur le sujet, Laurent Groc s’est vu décerner un prix de l’académie nationale de médecine en 2021.

Laurent Groc © Arnaud Rodriguez

Le cas Susannah Cahalan

Le cas Susannah Cahalan illustre parfaitement le sujet d’étude de Laurent Groc et de son équipe. Il a notamment fait l’objet d’un livre dont l’auteure est Susannah Cahalan elle-même. Il a ensuite été adapté pour le petit écran par Netflix.

Son titre : Brain on fire.

Ce livre est l’histoire d’une descente aux enfers.
Susannah Cahalan, 20 ans, est journaliste au New Yorker. En pleine santé au début du livre, son état se dégrade rapidement. Elle souffre de fatigue, d’anxiété et de paranoïa. Une crise d’épilepsie la conduit tout droit à l’hôpital où elle est diagnostiquée schizophrène. Suite à ce diagnostic, l’état de cette jeune fille continue de se dégrader sans aucune explication : problèmes respiratoires, dyskinésies et le coma.

C’est à cette même époque que les travaux de Josep Dalmau mettent en lumière une nouvelle cause d’encéphalite auto-immune sévère : les encéphalites à anticorps anti-récepteur NMDA.
Cette maladie présente de nombreux points communs avec celle dont souffre Susannah Cahalan qui entame une immunothérapie. Ce traitement lui permet de se rétablir complètement quelques mois plus tard.

Aujourd’hui, elle fait le récit de sa descente aux enfers lors de conférences scientifiques et racontent comment ces médecins et scientifiques l’ont sauvé.

Détecter les auto-anticorps chez les patients

Cette histoire et celles de nombreuses autres personnes à travers le monde soulèvent la question du lien entre troubles psychotiques et autoanticorps anti-récepteur NMDA. En effet, est-ce que des patients ayant principalement des troubles psychotiques et traités dans des hôpitaux psychiatriques ne souffrent-ils pas des effets des autoanticorps anti-récepteur NMDA, semblables à ceux observés dans l’encéphalite anti-récepteur NMDA ?

Grâce à une batterie de techniques de pointe, comme le suivi de molécules uniques, Laurent Groc et son équipe ont pu établir la présence d’autoanticorps dirigés contre le récepteur NMDA chez 18% des patients diagnostiqués schizophrènes. Ces autoanticorps de patients (schizophrènes, premiers épisodes psychose) sont capables d’induire une hypofonction des récepteurs NMDA en empêchant leur stabilisation synaptique. Les bases moléculaires de la « psychose auto-immune » ont été posées.

Aujourd’hui, les scientifiques travaillent sur deux axes principaux :

La réalisation d’une étude clinique

Comme souvent en recherche et en médecine, des avancées majeures sont liées au développement de nouvelles technologies. La détection de ces auto-anticorps n’échappe pas à cette problématique car leur détection est loin d’être simple. En effet, l’équipe de Laurent Groc a montré que les patients souffrant de troubles psychiatriques ont des niveaux d’autoanticorps plus faibles que ceux trouvés chez des patients avec une encéphalite. L’équipe de recherche travaille donc à l’élaboration d’une plateforme de détection des autoanticorps basée sur des approches expérimentales innovantes et de haute-technologie avec une grande sensibilité et fiabilité.

La réalisation d’une étude clinique, débutée en 2021, permettra d’identifier les patients diagnostiqués avec des troubles psychotiques et séropositifs aux autoanticorps anti-récepteur NMDA dans les différents CHU de France et de les traiter avec une immunothérapie afin d’éliminer les autoanticorps anti-récepteur NMDA. Ce programme de recherche se déroule dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), réunissant 9 centres hospitaliers français et dirigé par le Dr. Villéga (CHU Bordeaux) qui travaille aussi dans l’équipe de Laurent Groc. Ces études, ainsi que des projets européens de grande envergure pilotés par Laurent Groc, permettent à l’équipe de structurer un plan de recherche translationnelle ambitieux, de la molécule au patient. 

L’étude des mécanismes moléculaires

L’étude des mécanismes moléculaires impliqués dans l’encéphalite anti-récepteur NMDA et psychose autoimmune reste évidemment au cœur des préoccupations des chercheurs bordelais. Les travaux en cours ont pour objectif de comprendre comment une molécule du système immunitaire est capable d’induire des troubles psychotiques chez un humain, ouvrant des perspectives de compréhension des mécanismes impliqués dans des troubles psychiatriques majeurs comme la schizophrénie.

Neurones pyramidaux de l'hippocampe, une structure cérébrale impliquée dans l'apprentissage, la mémoire mais aussi dans les troubles psychotiques. Les autoanticorps purifiés chez les patients souffrant de troubles psychotiques ciblent les récepteurs gluta© Zoe Jamet

Aujourd’hui, la mission de Laurent Groc et de son équipe est donc de mettre en place une nouvelle méthode efficace pour repérer les autoanticorps dirigés contre le récepteur NMDA dans la circulation sanguine de patients. Un grand essai clinique vient de démarrer en France avec de nombreux centres hospitaliers, faisant écho à des recherches similaires en Angleterre, aux Etats-Unis et Australie. L’espoir de pouvoir détecter ces autoanticorps chez certains patients souffrant de troubles neuropsychiatriques et de leur offrir un traitement déjà existant pour d’autres maladies immunitaires est réel et l’ensemble des acteurs du domaine travaille dur pour mener à bien ces travaux. 

Pour aller plus loin

Pour découvrir le livre de Susannah Cahalan, cliquez ici 

Découvrez le film issu du livre de Susannah Cahalan sur Netflix 

Notes :
Institut Interdisciplinaire de Neurosciences (IINS / CNRS, université de Bordeaux)