Préserver et conserver l’art pariétal, des enjeux multiples pour les sciences archéologiques de Bordeaux
Préserver et conserver les ornements des grottes de Dordogne représente un enjeu de taille pour le patrimoine culturel français et international. Les scientifiques du laboratoire Archéosciences-Bordeaux (nouveau laboratoire issu de la fusion des entités Archeovision et IRAMAT-CRP2A) associés aux équipes de PACEA, CELIA et I2M mettent leurs compétences au service de la préservation de l’art pariétal en analysant les parois des cavités afin de déterminer les éléments à l’origine de leur dégradation.
Préhistorien français et conservateur du patrimoine, Norbert Aujoulat fut l'expert des cavités ornées de Dordogne qu'il a bien souvent découvertes mais également étudiées. Il a, notamment, repéré une grande partie des décors de la grotte de Lascaux y compris ceux qui n’étaient pas visibles en poussant l’étude des parois grâce à l’usage de rayonnements infrarouges et ultra-violets.
De ces premières études sont nées d’autres programmes notamment CEGO (Conservation et Etude des Grottes Ornées) soutenu par la région Aquitaine. Ce programme, initié et porté par Catherine Ferrier, maitre de conférences à l’université de Bordeaux et géoarchéologue au laboratoire PACEA, a permis, tout d’abord, de trouver une alternative à l’étude de ces parois ornées dans les grottes préhistoriques qu’il ne fallait ni toucher ni dégrader : les grottes laboratoires. En effet, certaines grottes non décorées en Dordogne (comme la grotte de Leye qui présentent des conditions environnementales analogues à la grotte de Lascaux et se situe à environ 25 km de celle-ci) présentent sur leurs parois des phénomènes équivalents à ceux découverts à Lascaux comme l’apparition d’un « voile blanc ». « Il est alors possible d’étudier ce phénomène grâce à des mesures archéométriques directement dans la grotte « laboratoire ». » souligne Rémy Chapoulie, directeur du laboratoire IRAMAT-CRP2A au moment de l’étude.

Cette alternative permet également à Delphine Lacanette-Puyo, maitre de conférences à Bordeaux INP (laboratoire I2M), d’approfondir l’étude des grottes préhistoriques en étudiant la circulation de l’air et les phénomènes de condensation de l’eau sur les parois. Des simulations numériques lui permettent de déterminer si les gouttes d’eau qui apparaissent à certains endroits sont altérantes ou dégradantes pour les cavités.
Le projet PHYT, découvrir ce qui altère les parois des grottes préhistoriques
En 2014, suite à ces études, la région Nouvelle-Aquitaine finance le projet PHYT (Physique et taphonomie des grottes ornées) impliquant de nouveau les laboratoires IRAMAT-CRP2A, PACEA, I2M de Bordeaux-INP et le laboratoire CELIA avec Bruno Bousquet, professeur à l’université de Bordeaux.
Objectif : comprendre l’évolution dans le temps des surfaces des parois des grottes par l’analyse multi-physique des différents matériaux présents dans les cavités. Rémy Chapoulie, professeur des universités en Archéométrie et Léna Bassel, doctorante au laboratoire IRAMAT-CRP2A au moment de l’étude, étudient alors ce voile blanc repéré sur les parois de certaines grottes. Deux catégories constitutives de ce voile blanc sont mises en évidence : le moonmilk et les coralloïdes. Le moonmilk est très probablement d’origine bactérienne et correspond à une poudre blanche qui se présente sous forme d’une multitude d’aiguilles de calcite. Les coralloïdes incluent des formations cristallines de type calcite ou bien aragonite et résultent d’une diagénèse classique.
Projet PHYT : le film !
Projet PHYT : Physique et Taphonomie des grottes ornées
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Le projet NACRES, analyser les éléments trouver sur les parois des grottes préhistoriques
En 2019, les universités de Limoges et Poitiers, Bordeaux INP, l’université de Bordeaux et l’Université Bordeaux Montaigne obtiennent un financement de la part de la région Nouvelle-Aquitaine et de l’institution SOLEIL : le projet région NACRES (Nouvelle Aquitaine Cristallographie et Rayonnement Synchrotron) est né. Il est coordonné par le Professeur René Guinebretière, cristallographe à l’université de Limoges et à l’Institut de recherche sur les céramiques.
Ce nouveau projet donne potentiellement l’accès à l’accélérateur de particules nommé « SOLEIL » à Paris qui permet d’aller plus loin dans l’analyse des cristaux. Il permet également à PHYT d’avoir une suite.
Qu’est-ce que SOLEIL ?
SOLEIL, acronyme de « Source Optimisée de Lumière d’Energie Intermédiaire du Laboratoire d’Utilisation du Rayonnement Électromagnétique », est un centre de recherche implanté sur le Plateau de Saclay à Paris. Plus concrètement, c’est un accélérateur de particules (des électrons) qui produit le rayonnement synchrotron, une lumière extrêmement brillante qui permet d’explorer la matière inerte ou vivante.

Ce rayonnement synchrotron, peu utilisé par les chercheurs en Aquitaine, a donné l’opportunité aux scientifiques du projet NACRES, notamment Léna Bassel, post-doctorante au laboratoire PACEA en 2019, de mieux comprendre la fabrication des aiguilles de calcites composantes de ce curieux matériau nommé moonmilk apparaissant comme un voile blanc sur certaines parois des grottes préhistoriques.
« Les résultats, qui n’ont pas encore fait l’objet d’une publication, sont surprenants puisque les microcristaux étudiés sont quasiment parfaits. Or dans le monde de la cristallographie, ce résultat est rarissime. » explique Rémy Chapoulie. Un cristal parfait est constitué d'une répartition régulière des atomes, des ions ou des molécules suivant les trois dimensions de l'espace. La quasi absence de défauts dans le cas présent sur les microcristaux de calcites interpellent les chercheurs. Dans l’état actuel des expérimentations, cela rend difficile l’interprétation de la formation (condition d’origine, cinétique, …) de ces cristaux.
Déterminer les conditions de genèse du moonmilk
En 2019, en parallèle du projet NACRES, une doctorante indienne Sriradha Bhattacharya* cherche à comprendre comment sont fabriqués les cristaux de calcites du moonmilk en identifiant les micro-organismes associés. A l’heure actuelle, plusieurs micro-organismes ont été identifiés à l’aide des analyses ADN. L’objectif est, entre autres, de recréer en laboratoire la genèse de ces cristaux. Pour cette étude, les scientifiques du laboratoire Archéosciences-Bordeaux ont eu accès aux grottes ornées de Font-De-Gaume et de Combarelles afin de réaliser de véritables micro-prélèvements à proximité des peintures. Ces prélèvements ont pu être comparés avec ceux de la grotte laboratoire. Les résultats devraient être révélés au printemps 2022.
De plus, de nouveaux prélèvements sur du moonmilk devraient avoir lieu prochainement sur des échantillons provenant de la fameuse grotte de Lascaux afin de déterminer s’il y a une correspondance entre les bactéries identifiées sur les parois des grottes laboratoires et sur celles identifiées dans des grottes ornées, par exemple celles des grottes de Font-de Gaume et de Combarelles en Dordogne.
En conclusion
L’étude des micro-organismes qui altèrent les parois des grottes ornées concerne les scientifiques mais touche également directement les conservateurs des grottes. En effet, de nombreuses grottes comme celles de Lascaux en Dordogne, de Chauvet en Ardèche ou d’autres à l’international rencontrent ces problèmes de conservation. L’enjeu économique est alors de taille car la visite de ces sites est un apport pour le tourisme culturel mais aussi pour l’économie des locaux et de la nation. Or on ne sait pas encore si dans 100 ans ces grottes pourront se visiter et comment les ornements pourront être préservés.
En gardant cet objectif en tête, les scientifiques tentent donc d’identifier les bactéries ou micro-organismes responsables de ce voile de calcite à l’origine de la dégradation des ornements sur les parois des grottes afin de maitriser le phénomène et ainsi préserver et conserver l’art pariétal. Toutefois, ils sont confrontés à un accès aux sites très réglementé. L’enjeu est alors de faire des comparaisons entre le milieu des grottes ornées difficilement accessible et celui des grottes dites « laboratoires » non ornées plus facilement accessibles.
Notes
*Programme Européen ED-ARCHMAT European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme H2020-MSCA-ITN-2019-EJD : Marie Sklodowska-Curie Innovative Training Networks (European Joint Doctorate) – Grant agreement N°766311
Contribution des laboratoires :
Ex Achéovision (Université Bordeaux Montaigne, CNRS, université de Bordeaux)
Ex IRAMAT-CRP2A (CNRS, Université de Bordeaux Montaigne, Université d’Orléans, Université de Technologie-Belfort-Montbéliard)
Nouveau laboratoire : Archéosciences Bordeaux (Université Bordeaux Montaigne, CNRS, université de Bordeaux)
De la Préhistoire à l’Actuel : Culture, Environnement et Anthropologie (PACEA / université de Bordeaux, CNRS, Ministère de la Culture)
Centre des Lasers intenses et applications (CELIA / CNRS, université de Bordeaux, CEA)
Institut de mécanique et d’ingénierie de Bordeaux (I2M / CNRS, université de Bordeaux, Bordeaux INP, ENSAM)