A la rencontre de Delphine Thivet

« C’est touchant de rencontrer les viticulteurs, eux qui sont dépositaires d’un savoir, d’une passion et d’un amour du produit ».  Pourtant, rien ne prédestinait Delphine Thivet, chercheuse en sociologie à l’université de Bordeaux au Centre Emile Durkheim1 , à étudier d’aussi près le monde du vin.

  • 1CNRS / université de Bordeaux

Au départ, cette sociologue politique s’intéressait surtout aux mobilisations agricoles, quelles qu’elles soient, et où qu’elles se trouvent. « Mes premiers travaux se sont intéressés à la construction d’un mouvement paysan international, en m’intéressant spécifiquement à la France, au Brésil et à l’Inde », confie-t-elle. C’est en arrivant à Bordeaux que son regard se tourne vers les paysages viticoles, intriguée par la place centrale que prend le vin dans la culture locale. 

« Le vin est un objet de recherche très riche, et finalement, avec quelques collègues, nous avons souhaité questionner l’impact de la transition agroécologique sur les conditions de travail. »

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L'enjeu de ce programme de recherche est d'étudier les changements lié au passage à l'agro-écologie. Basé sur des entretiens de viticulteurs et de salariés, TraSad (Du travail soutenable en agriculture durable) s'axe sur la dimension humaine, conditions des travailleurs en agricultures.

Les pieds dans la vigne

Pendant deux ans, Delphine Thivet et son équipe ont mené une centaine d’entretiens auprès des acteurs du secteur pour comprendre ce que la transition vers une agriculture plus durable peut créer en termes d’augmentation de la charge de travail, de mécanisation, de santé des viticulteurs et des salariés. « Notre objectif n’était pas de définir ce qui est bien, ou mal, en termes de viticulture, mais de décortiquer la complexité d’une transition vers une viticulture plus durable et de la soutenabilité humaine de cette transition », explique-t-elle.

Car des vignes non-traitées induisent une présence humaine plus importante dans les champs, sur des tâches parfois éprouvantes physiquement, alors que le secteur rencontre une pénurie de main-d’œuvre. Mais l’abandon des traitements a un impact direct et bénéfique sur la santé des viticulteurs.

Au-delà des pratiques agricoles

« La transition ne se joue finalement pas uniquement sur les changements des pratiques agronomiques, mais surtout sur son impact sur les conditions de travail, sur les financements qu’elle demande, sur la bureaucratie cachée derrière les certifications environnementales », ajoute Delphine Thivet. Les membres de l’équipe de Delphine Thivet ont même endossé la tenue de salarié agricole pour réaliser des observations participantes. « Les viticulteurs et leurs salariés sont souvent invisibilisés derrière un produit, le vin, extrêmement valorisé sur le plan économique et symbolique, en France et à l'international. On espère que nos travaux contribueront, à leur façon, à accompagner l’évolution du travail dans les vignes ».

Au-delà du Bordelais, Delphine Thivet, actuellement en mission temporaire en Inde pour poursuivre d’autres travaux de recherche, s’interroge sur les vignobles indiens et ceux de pays du Sud, où cette culture est historiquement moins ancrée. « Ce ne sont pas du tout les mêmes vins, mais des filières émergent, notamment en Inde du Sud. Ce serait intéressant de les étudier également, en mettant toujours l’humain au centre de nos problématiques de recherche », conclut-elle. Que ce soit en France ou à l’étranger, Delphine Thivet reste à l’écoute des hommes et des femmes confrontés aux grands défis environnementaux, sanitaires et économiques qui bousculent les mondes agricoles d’aujourd’hui.